Haïti: Les ONG sont-elles un outil de domination néocoloniale? | Un État faible face à une invasion d’ONG

Colloque international sur le rôle des ONG en Haïti

par Julie Lévesque

Mondialisation.ca, Le 17 juin 2012

Ceci est la première partie d’une série sur le colloque du 15 juin qui s’est tenu à Montréal, Les ONG en Haïti: entre le bien et le mal.

Paternalisme, néocolonialisme, outil de domination de l’ordre mondial, voilà seulement quelques-uns des attributs et concepts accolés aux organisations non gouvernementales (ONG) lors du colloque sur le rôle controversé des ONG en Haïti, lequel a soulevé des passions le 15 juin à Montréal. L’organisatrice Nancy Roc d’Incas Productions, a admis que ce colloque intitulé « Les ONG en Haïti : entre le bien et le mal », est « un colloque qui dérange ». Elle a salué la présence de plusieurs ministres haïtiens : « Ce sont eux qu’on accuse mais ils sont là aujourd’hui, ils nous prennent au sérieux », dit-elle avant de déplorer l’absence d’un grand nombre d’ONG québécoises.


Nancy Roc au colloque « Les ONG en Haïti : entre le bien et le mal » 15 juin 2012.

« Les Québécois ont été les plus généreux donateurs et ils sont en droit de se demander où sont les fonds. J’ai contacté toutes les ONG, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), et la plupart n’ont même pas pris la peine de me répondre. J’ai appris la semaine dernière que l’AQOCI tenait son assemblée générale aujourd’hui même. J’étais prête à payer pour que le programme du colloque soit affiché sur le site de l’AQOCI. On m’a répondu que ce n’était pas possible pour le technicien web…

 « Lorsqu’une étude a été menée auprès des ONG par le Disaster Accountability Project (États-Unis), 80% des ONG ont refusé de rendre des comptes. On accuse souvent le gouvernement haïtien mais seulement 1% de l’aide s’est rendue au gouvernement. Pour chaque dollar canadien donné à Haïti, 6 sous seulement sont allés aux Haïtiens. Voici la vérité qu’on ne vous dit pas.

 « La plupart des rôles de l’État ont été refilés aux ONG, les fonds sont dirigés vers d’autres gouvernements, vers des compagnies privées étrangères. Comment s’étonner que l’on qualifie Haïti de Far West des ONG! Il s’est développé en Haïti une forme de colonialisme humanitaire. Depuis 1986, Haïti est le pays qui a reçu le plus d’aide mais s’est appauvri. Et on accuse les victimes! Par ailleurs, les ONG haïtiennes ne reçoivent pas d’aide et pourtant ce sont elles qui connaissent le pays et les besoins de la situation. »

Mme Roc se défend de vouloir faire le procès des ONG. Le but de ce colloque est de « chercher des solutions et mettre en œuvre une coordination entre les acteurs, d’amorcer un dialogue, un nouveau virage ».

La faiblesse de l’État haïtien et la propagande voulant qu’il soit trop corrompu pour se voir allouer des fonds profite grandement aux ONG étrangères qui récoltent l’aide financière qui autrement irait à l’État. Ce dernier est davantage affaibli par cette pratique et les intervenants ont dans une grande majorité mis l’accent sur la nécessité du renforcement de l’État. S’il faut avoir les moyens de ses ambitions, le renforcement de l’État haïtien passe d’abord et avant tout par les moyens financiers.

« Est-ce la faiblesse de l’État qui a causé cette invasion d’ONG dans les compétences gouvernementales ou l’invasion d’ONG qui a contribué à affaiblir l’État? » Sans amener de réponse à la question que plusieurs se posent, le directeur exécutif de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire, François Audet, conclut qu’il « faut revoir les paradigmes de l’intervention en Haïti ».

Daniel Supplice, ministre des Haïtiens vivant à l’étranger accuse plutôt l’instabilité politique d’être responsable de la faiblesse de l’État. Il n’a toutefois pas mentionné le rôle prépondérant des pays donateurs dans l’instabilité politique haïtienne.

Ce rôle antidémocratique des grandes puissances est également passé sous silence dans les grands médias qui n’osent même pas parler du coup d’État concocté par le Canada, les États-Unis et la France contre Jean-Bertrand Aristide en 2004 et préfèrent le qualifier de « départ » du président. Ce dernier, élu démocratiquement avec un pourcentage des suffrages à faire rougir n’importe quel dirigeant des pays qui l’ont chassé du pouvoir, faisait face à une insurrection armée et financée entre autres par le CIA. Quant à l’opposition politique, le gouvernement canadien a largement contribué à son financement :

Le gouvernement canadien a été fortement impliqué sur tous les plans dans le coup d’État. Le Canada, l’Union européenne et les États-Unis avaient supprimé toute aide au gouvernement Fanmi Lavalas tout en finançant ses opposants. Pire, le Canada a participé à la planification et à l’exécution du renversement du gouvernement et au kidnapping d’Aristide. La nuit du coup, 125 troupes canadiennes étaient sur le terrain à Port-au-Prince, assurant la sécurité de l’aéroport à partir duquel les soldats étasuniens forceraient Aristide à prendre un avion pour l’exil. Le Canada a aidé à installer le nouveau régime non élu et lui a fourni des millions de dollars d’aide. L’aspect probablement le plus honteux est que les troupes canadiennes et les policiers envoyés en Haïti ont activement appuyé la répression. (Nikolas Barry-Shaw, Dru Oja Jay, Paved with Good Intentions, 2012, p. xi. Traduction libre.)